Par Audrey Platania Maillot, Psychologue

Nous sommes tous dotés d’empathie.
Dès la naissance, les neurones miroir s’activent et nous entrons en résonance avec le moindre murmure émotionnel de notre environnement social. C’est une caractéristique innée qui nous permet de créer un lien avec les autres. Un lien vital pour notre survie. Les premiers comportements d’empathie apparaissent très tôt dans le développement de l’enfant. Tout petit, un enfant vient aider un autre enfant qui pleure, ou se met lui même à pleurer en entendant cet autre enfant pleurer. C’est d’ailleurs le principe de la contagion émotionnelle que l’on peut tous observer à chaque rentrée des classes chez les enfants de petite section de maternelle.
Nous sommes tous, depuis toujours, équipés pour être empathique. C’est un équipement instinctuel. Ce n’est ni réfléchi, ni appris, nos neurones sont ainsi construits pour capter et ressentir en écho les états émotionnels des autres.
Alors que se passe-t-il ensuite ? Pourquoi nous nous détournons parfois de cet équipement primaire et archaïque ?
Les barrières à l’empathie ?
La peur
Peur de mal faire, de ne pas être à la hauteur de l’éducation de l’enfant, peur du regard des autres sur nos capacités à être de bons parents, de bons enseignants…
A l’école, peur de ne pas tenir le cadre, de ne pas être suffisamment autoritaire, de se faire déborder par la classe.
Peur que l’enfant joue sur l’émotion. Qu’il nous entourloupe, qu’il nous manipule, qu’il « joue sur la corde sensible » pour que l’on cède à ses caprices
Mercredi dernier en consultation, une petite ado s’effondre en pleure dans mon bureau face à ses parents. Le papa réagit immédiatement et lance à la maman « mais tu vois tu es trop gentille avec elle, elle te bouffe ! Regarde elle nous prend pour des jambons ! »
Quelle violence ! Et quelle peur chez ce papa ! Une peur viscérale de perdre le contrôle, d’être pris en otage par l’émotion de son enfant. La peur d’être trop gentil et de perdre la maitrise de la situation éducative a amené chez ce papa une déconnexion totale de son système d’empathie alors qu’à ce moment précis cette ado n’avait qu’un seul besoin, que son émotion soit entendue, comprise, et que son papa la prenne dans ses bras pour la rassurer sur son amour.
La peur d’être trop gentil, trop laxiste, est peut être la barrière principale au déraillement du système d’empathie que l’on observe souvent à l’école. L’enseignant, comme le parent, est un acrobate. Il doit à la fois entendre les émotions de ses élèves tout en maintenant le cadre de sa classe.
A être trop bienveillant, nous avons peur d’être trop souple et de nous faire déborder.
« Trop bon, trop… » nous dit aujourd’hui la parole populaire. Et pourtant…
La bienveillance se développe par l’empathie
Comprendre les émotions des autres n’est pas les justifier, les excuser ou les pardonner. C’est donner à l’autre la possibilité de ressentir ce qu’il ressent sans jugement ou rétorsion.
Et n’oublions pas que la bienveillance commence par Soi même car si nous ne savons pas être bienveillant envers nous même, la colère et l’agressivité nous emportent et nous ne pourrons être bienveillant envers les autres
Vers plus de bienveillance… oui attardons nous sur cette litanie actuelle.
Vers plus de bienveillance… oui prenons le temps d’y penser et de le garder à l’esprit.
Mais vigilance à ne pas nous perdre en chemin : Bienveillance ne veut pas dire tout accepter, sourire à tout, et se leurrer à vivre dans le monde des bisounours, comme le dirait la voix populaire ici aussi.
Nous avons besoin de cadre, de repères, d’autres systèmes de valeur pour vivre ensemble. Nos enfants, surtout, ont besoin de sentir et d’éprouver le cadre et les limites pour grandir. Dire non à un enfant, le frustrer par moment, interdire, est un gage d’amour également. La bienveillance ne doit pas rimer avec naïveté ou avec sentiment d’impuissance ou de faiblesse.
Nous confondons trop souvent toutes ces notions. A l’ère de la parentalité bienveillante, nous pouvons avoir la sensation que nous ne devons pas nous mettre en colère ou sanctionner un enfant. Certain peuvent même s’en culpabiliser.
Quand on parle de bienveillance, il ne s’agit pas du fond éducatif mais plutôt de la forme. Poser des règles et des interdits, c’est primordial, tant avec ses enfants que globalement dans notre vie sociale. Il s’agit plutôt d’apprendre à le faire avec bienveillance c’est à dire en restant à l’écoute des émotions de l’autre, soutenir et accompagner les émotions sans relâcher pour autant notre profond besoin d’être respecter sur notre territoire.
La bienveillance n’est pas la soumission à l’autre.
Ce n’est pas le laisser gagner, s’effacer ou annihiler nos propres ressentis. La bienveillance n’a rien à voir avec la concurrence ou la compétition, la bienveillance se fiche de savoir qui est le gagnant ou le perdant.
Le bienveillance c’est apprendre à dire « c’est comme ça, ce n’est pas comme tu l’aurais souhaité parce que j’en ai besoin, ou parce que c’est important » tout en arrivant à dire dans le même mouvement « malgré tout je reste présent pour toi, j’entend et comprend que ce n’est pas facile pour toi, je suis là pour t’aider à envisager cette frustration et t’ouvrir à d’autres alternatives »
Bienveillance, empathie et règles sanitaires…
Cette semaine de rentrée a été riche d’enseignements sur ces propos.
D’un côté les ayatollah du masque. La peur de ce virus, de la maladie, la peur d’une seconde vague et d’un futur confinement, a amené son lot de réactions de peur impulsive à l’école. Manque d’empathie, déraillement de la bienveillance, certains se sont acharnés à maintenir les règles sanitaires tant et si bien qu’aucune place n’a pu être donné pour entendre et comprendre les enjeux psychologiques et émotionnelles pour les élèves, bien sur, mais pour les enseignants aussi.
Mais ne cédons pas à l’extrême inverse. Des vidéos tournent sur les réseaux sociaux de groupuscules « anti-masque » qui poussent à la rébellion. « Ne portez pas le masque, on vous enlève le droit de respirer. Respirer est un droit fondamental, c’est de la maltraitance, rebellez vous ! »
Quelle erreur de la part des adultes que de réagir dans cette impulsivité !
Sous couvert de la bienveillance, on en oublie ici la valeur fondamentale du respect du cadre, des limites, des règles qui sont posées pour notre sécurité et notre protection individuelle et collective. L’enfant est alors pris en otage dans un conflit de loyauté insupportable. Comment grandir et se sentir en sécurité si les adultes deviennent non congruents entre eux et expriment tant de messages paradoxaux ?
La bienveillance ne doit pas rimer avec dérogation à la règle, c’est dangereux pour tous.
Nous parlons en psychologie de fermeté bienveillante. Il ne s’agit pas de céder mais d’accompagner les émotions de l’enfant pour qu’il puisse s’adapter, faire avec ce masque. Ni imposer la règle sans écoute de l’autre ni céder à l’annulation de la règle. C’est cette voix du milieu qu’il nous faut chercher ensemble, en cohérence.
Je peux pas, j’ai masque !
Une autre peur pointe son nez face à ce nez justement qu’il nous faut masquer…
Utiliser ce masque comme stratégie d’évitement…
« Je ne peux pas madame c’est à cause du masque ! Je n’arrive pas à me concentrer c’est à cause du masque… je ne peux pas bien écouter, bien apprendre, bien comprendre… je ne peux pas bien travailler à cause de ce masque »
Quelle formidable stratégie d’évitement que l’on vient d’offrir à nos enfants ! Ce masque va devenir le responsable de la difficulté scolaire de nos enfants et hop, voilà une pirouette assurée pour se déresponsabiliser et attribuer à ce facteur extérieur toutes les causes de nos difficultés internes.
C’est exactement la même situation que pour d’autres stratégies d’évitement. Souvent nous entendons de la part des parents ou des profs « il se cache derrière sa dyslexie, son HP, son TDA/H… Il s’en sert comme d’une arme puissante pour ne rien faire »
Oui les troubles des apprentissages peuvent servir de stratégie d’évitement à nos enfants… alors nous avons tendance à vouloir prendre directement la posture inverse et oublier les particularités ou les troubles « je m’en fiche de ton trouble, travaille ! » mais c’est une erreur… car le trouble existe quand même et freine vraiment l’enfant dans ses apprentissages.
Comme ce masque… il vient vraiment perturbé l’enseignement et l’apprentissage.
Comment bien faire la part entre la stratégie d’évitement et les réelles difficultés de l’enfant ?
Ici aussi, convoquons notre bienveillance…
Se cacher derrière son masque. Oui c’est de l’évitement. Mais là où il y a évitement, il y a difficulté. On se masque et on évite parce qu’une peur taraude. Bienveillance et empathie seront nécessaires pour faire émerger cette peur, pour l’écouter et la comprendre. Prendre ce comportement de front, tenter d’annuler la stratégie d’évitement sans considérer la peur qui rode derrière n’apportera qu’amplification de l’évitement, verrouillage, silence ou opposition.
Replacer la bienveillance au creux de notre rapport à nous même et au monde est en effet essentiel aujourd’hui pour nous, pour nos enfants, pour l’évolution de notre société. Prenons le temps d’éclairer cette valeur, de nous l’approprier, de l’incarner.
La bienveillance nous invite à prendre soin de nos émotions pour mieux prendre soin de celles des autres.
A l’heure où l’hygiène sanitaire prend une place considérable dans nos vies, éduquons également à une meilleure hygiène émotionnelle pour notre évolution tant en terme individuel, que familial, groupal ou sociétal.